La langue du voisin: plaidoyer pour l’enseignement du néerlandais dans le nord de la France
L’enseignement du néerlandais dans la région des Hauts-de-France donne souvent lieu à des débats fort animés. La question centrale est, pour beaucoup, celle du choix de la langue à enseigner: faut-il opter pour le néerlandais standard ou préférer le Vlaemsch, sa variante dialectale du nord de la France? L’auteur du présent article, chargé de mission d’inspection en néerlandais, a sur ce sujet un avis bien tranché et plaide en faveur de l’enseignement du néerlandais.
À l’usage de ceux qui ne connaissent pas le système scolaire français, il est sans doute utile d’en donner un bref aperçu.
Jusqu’à onze ans, les élèves sont scolarisés à l’«école primaire». Une initiation d’une heure hebdomadaire à une langue étrangère y est dispensée. L’anglais se taille bien sûr la part du lion, mais il existe dans les Hauts-de-France plusieurs dizaines d’établissements où le néerlandais figure au programme. L’allemand et l’espagnol n’étant enseignés dans aucune école de la région, on peut considérer que le néerlandais bénéficie d’un traitement préférentiel. À Dunkerque et à Halluin, deux projets spécifiques prévoyant un renforcement des horaires de néerlandais et son apprentissage précoce ont été lancés. La commune frontalière de Wattrelos a d’autre part décidé de proposer un enseignement de néerlandais dans toutes ses écoles primaires.
Dans les deux cycles de l’enseignement secondaire – le premier regroupant les élèves de douze à quinze ans dans des «collèges», et le second ceux de seize à dix-huit ans dans des «lycées» -, l’apprentissage de deux langues étrangères est obligatoire. En pratique, les combinaisons choisies associent toujours l’anglais à une autre «grande» langue telle que l’allemand, l’italien ou l’espagnol. Mais la France est le pays du monde offrant le plus grand panel de langues étrangères pouvant être étudiées à l’école: du russe et du chinois aux langues régionales comme le basque ou le corse, sans oublier les langues parlées outre-mer telles que le créole, ainsi que d’autres langues de moindre rayonnement comme le polonais, le coréen, l’hébreu, le portugais, et donc aussi le néerlandais.
Le choix de la deuxième langue s’effectue lors de la deuxième année du collège, autrement dit en «cinquième». Dans les douze établissements où est enseigné le néerlandais, les élèves ont néanmoins la possibilité de commencer un an plus tôt, dans des sections dites «bilangues», qui assurent une meilleure continuité avec l’apprentissage entamé dans le primaire. Un signe de bonne volonté politique du côté français puisque cette sorte d’exception vise explicitement à encourager le choix de «petites» langues telles que le néerlandais.
Au lycée, les élèves peuvent opter pour l’apprentissage, facultatif, d’une troisième langue. Là encore, dans certains établissements du nord de la France, le néerlandais fait partie des choix possibles. Pour la deuxième comme pour la troisième langue, il n’existe aucun examen national ou régional; la note finale est égale à la moyenne des résultats consignés dans les bulletins des deux dernières années.
Depuis quelque temps, on observe une baisse considérable (‑ 40 %) du nombre d’élèves inscrits à une option, donc aussi à l’option néerlandais. La dernière réforme a en effet rendu moins intéressant le choix d’une option, qui ne permet désormais de gagner que très peu de points supplémentaires. Les inscriptions aux options ne sont d’autre part plus considérées comme une raison valable pour changer d’établissement. Il n’est en outre plus possible d’échanger ses deuxième et troisième langues. Enfin, les enfants habitant hors de la région n’ont plus la possibilité d’apprendre le néerlandais à distance.
Ajoutons que le néerlandais est aussi enseigné dans certains lycées professionnels, offrant une dizaine d’orientations spécifiques dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie-restauration (en particulier dans un établissement des Ardennes françaises) et des soins esthétiques (à Tours). Les élèves inscrits dans ces formations sont envoyés en stage, avec certaines limites, en Flandre et aux Pays-Bas pour améliorer leur néerlandais (et leur anglais…).
Par-delà les frontières
L’inspection française coopère à plusieurs niveaux avec des partenaires flamands et néerlandais. Il existe un accord de coopération à long terme avec les instituts de formation des enseignants de français de Gand, Groningue et Utrecht, mais la plupart des collaborations passent par le canal de la Taalunie
(Union de langue néerlandaise). Elles sont fondées sur un accord, à reconduire en 2023, entre la Flandre, les Pays-Bas, la Wallonie, certains länder allemands et le rectorat de Lille. Ce partenariat prévoit, entre autres, le cofinancement de projets, l’organisation de journées d’étude, le soutien au développement de sites web et de manifestations culturelles par l’APNES (Association des professeurs de néerlandais de l’enseignement secondaire), l’organisation de représentations musicales et théâtrales pour un vaste public scolaire, le développement de matériel pédagogique pour les voyages scolaires et la conception de matériel de promotion du néerlandais.
Pénurie d’enseignants
Alors que, précédemment, il ne cessait d’augmenter, le nombre d’élèves choisissant le néerlandais semble aujourd’hui stagner. Actuellement, la langue est enseignée dans cinquante-trois établissements à 4 420 enfants et adolescents: environ deux mille dans le primaire, un bon millier dans le premier cycle du secondaire et un peu plus de mille dans les lycées.
Alors que, précédemment, il ne cessait d’augmenter, le nombre d’élèves choisissant le néerlandais semble aujourd’hui stagner
Le principal obstacle au développement du néerlandais réside dans le manque criant d’enseignants qualifiés. Le ministère de l’Éducation semble vouloir opérer un rattrapage en rouvrant les sections de néerlandais des concours du CAPES ou de l’agrégation afin de recruter de nouveaux enseignants. Mais le peu de candidats qui s’y présentent demeure préoccupant. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce désintérêt. Il n’y a pas de section de néerlandais à l’institut de formation des enseignants de Lille (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation, INSPé). Le choix d’une carrière relativement mal payée comporte des risques qui peuvent décourager les étudiants. D’autre part, l’ouverture des concours n’est généralement annoncée qu’après la rentrée scolaire, de sorte que les enseignants non titulaires peuvent avoir du mal à organiser leur préparation.
Le personnel qualifié ne manque pas seulement dans le nord de la France, mais aussi, plus gravement encore, en Guyane française, département voisin du Surinam. Notons à ce propos que les douze enseignants locaux de néerlandais, parmi lesquels on ne compte qu’un seul titulaire, sont placés sous l’autorité d’un inspecteur d’anglais.
Une classe en ligne existe depuis cinq ans à l’intention des élèves du secondaire inscrits dans un établissement où le néerlandais n’est pas enseigné. Bien que principalement destinée aux jeunes scolarisés dans les dispositifs spéciaux prévus pour les sportifs ou musiciens de haut niveau, elle peut aussi être suivie par d’autres élèves, par exemple ceux dont les parents ont récemment déménagé.
Le flamand de France brouille les cartes
Le statut d’authentique langue régionale accordé en 2021 au néerlandais dialectal parlé dans le nord de la France constitue un autre frein au développement du néerlandais standard. L’enseignement public a rapidement fait une place à ce dialecte, promu langue régionale officielle, en l’introduisant à Bergues dans une école primaire et un collège, ainsi que dans une classe d’un lycée de Hazebrouck. Depuis septembre 2022, plusieurs classes des établissements primaires de Bailleul sont venues compléter le dispositif. Le contrôle de ces enseignements est officiellement assuré par l’inspecteur de l’enseignement primaire à la retraite Joël Sansen.
La décision de mettre le néerlandais en concurrence avec le Vlaemsch me fait l’effet d’un coup de poignard dans le dos
Dépourvue de tout fondement scientifique, la reconnaissance par le ministère de ce dialecte comme langue régionale officielle repose indubitablement sur des motifs politiques. Cette décision a pour effet de mettre le néerlandais en concurrence avec le Vlaemsch dans l’arrondissement de Dunkerque. Personnellement, cette manœuvre me fait l’effet d’un coup de poignard dans le dos. Comme il ressort d’autres articles sur l’enseignement du néerlandais publiés dans ce numéro, l’association qui a activement milité pour le Vlaemsch présente des caractéristiques identitaires. De plus, défendre comme elle le fait l’idée que le Vlaemsch serait une langue régionale autonome qui n’aurait, ou n’aurait plus, aucun lien avec le néerlandais, ne tient pas debout.
Contrairement à ce que prétendent les flamingants de France, l’apprentissage du Vlaemsch n’est d’aucune utilité pour les Françaises et les Français qui recherchent un travail de l’autre côté de la frontière. Les Flamands de Belgique ont depuis longtemps cessé de parler les dialectes en usage chez eux au XIXe siècle. Quand ils s’expriment dans une variété régionale du néerlandais, ils le font dans le cadre d’échanges avec leurs amis ou en famille, rarement avec des étrangers ou sur leur lieu de travail. Qui peut sérieusement prétendre que les néerlandophones qui cherchent à travailler dans le nord de la France ou viennent y faire leurs courses doivent apprendre le chti au lieu du français? D’ailleurs, dans tout ce qui a été mis en place pour favoriser le Vlaemsch, les initiatives transfrontalières sont totalement absentes. Sans commentaire!
Maîtriser le néerlandais = accroître ses chances
Les autorités françaises – c’est-à-dire, pour l’essentiel, les instances responsables de l’éducation dans le nord de la France – stimulent où elles le peuvent l’apprentissage du seul véritable néerlandais. À leurs yeux, la connaissance de la langue du voisin constitue en effet un important atout pour le tourisme régional et pour l’accès au marché du travail – aussi bien en Belgique que dans le nord de la France, où se sont implantées de nombreuses entreprises flamandes et néerlandaises. Le néerlandais est, après l’anglais, la langue étrangère la plus demandée dans les offres d’emploi. Les institutions économiques, politiques et éducatives en sont relativement conscientes, mais les différences existant entre les termes néerlandais, flamand et hollandais sont souvent ignorées. Les confusions engendrées par ce manque d’information obscurcissent le débat plus ou moins absurde sur le flamand historique parlé (ou compris) par une poignée de personnes dans la région de Dunkerque.
Le néerlandais est, après l’anglais, la langue étrangère la plus demandée dans les offres d’emploi
Dans le nord de la France, certains parents préfèrent scolariser leurs enfants dans une école néerlandophone de l’autre côté de la frontière. Il va de soi qu’un tel choix n’est pas envisageable pour tout le monde. Mais il existe une option pertinente pour celles et ceux qui estiment important de connaître la langue du voisin: l’apprentissage du néerlandais standard offert par les établissements scolaires du nord de la France.